mardi 21 août 2012

Refonder l'entreprise

Produite par les effets de la gouvernance des banques au profit de leurs actionnaires, la crise frappe la population active en détruisant le travail. C'est la gouvernance de l'entreprise qu'il faut réformer pour la résoudre.

Groupés en société, les actionnaires profitent de l'absence de modèle de l'entreprise pour la plier à son avantage au risque de la détruire.
L'entreprise n'existe pas en droit. Elle reste écartelée entre le droit du travail et le droit du commerce. Il n'y a pas de droit de l'entreprise, objet pourtant essentiel dans la création des richesses, l'innovation et le développement.

Les actionnaires ne sont pas propriétaires de l'entreprise, seulement de leur part et le dirigeant est responsable de ses choix, y compris pénalement, mais pas un agent au service des actionnaires légalement. Mais le droit n'interdit pas aux actionnaires d'imposer ce rôle d'agent subordonné à leurs intérêts au dirigeant par sa nomination et sa révocation immédiate et sans justification et par le niveau exorbitant de sa rémunération.

L'entreprise est un phénomène récent. Avant la fin du 19ème siècle, l'entrepreneur loue de la force de travail, du capital, achète des fournitures. Ce sont des échanges marchands, mais il n'y a pas d'entreprise en tant que tel.
Le contrat de travail, le manager, les luttes syndicales, la responsabilité pénale du chef d'entreprise - celui-ci n'est plus simplement l'administrateur de la société commerciale - l'innovation technique, la rationalisation des organisations, l'apparition des business scool, contribuent à construire l'entreprise à la naissance du 20ème siècle avec trois caractéristiques:
- la dynamique de création collective consistant à domestiquer l'innovation et le progrès technique;
- la subordination des individus dans des collectifs de travail organisés qui ne se satisfont pas de relations marchandes;
- l'autorité du chef d'entreprise qui aura la compétence pour animer le collectif de travail au bénéfice des projets.

C'est cette entreprise qui a été contestée dans les années 1970 avec la conduite de l'entreprise au bénéfice de la valeur, le management par objectif, les stock-options et les fortes rémunérations du PDG plus président de la société que directeur général de l'entreprise, l'individualisation des salaires, la réintroduction de la relation marchande pour la force de travail avec la sous-traitance, etc.

La crise que l'on vit est surtout une crise de l'entreprise qui met en évidence les dégâts d'une gouvernance de l'entreprise orientée vers la valeur actionnariale aussi bien sur l'environnement que sur la société. Cette gouvernance oeuvre contre l'entreprise, empêchant les investissements à long terme et, à cause du non-respect des règles de prudence qu'elle impose dans le secteur financier, déstabilise toute l'économie et la société.

Résoudre la crise, c'est résoudre la crise de l'entreprise dont les trois dimensions (dynamique de création collectives, dynamique des collectifs de travail, autorité du chef d'entreprise) sont largement touchées. Il s'agit maintenant de la repenser et la refonder pour des enjeux contemporains.

Malgré son développement, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises reste largement secondaire par rapport à la rémunération des actionnaires et la valorisation du capital de la société. Des statuts innovants comme la scop  ou la mitbestimmung  ne résolvent pas la question parce qu'elles ne fondent pas l'autorité des dirigeants en dehors de la représentation des groupes (propriétaires, salariés).

Reprendre l'idée de l'existence d'une autorité de gestion dans l'intérêt de l'innovation collective permettrait de fonder des principes de représentation des parties prenantes de l'entreprise et des principes de solidarité.

Refonder l'entreprise,
B. Segrestin & A Hatchuel
La république des idées
Blanche Segrestin et Armand Hatchuel font quatre propositions dans leur livre (refonder l'entreprise):
- repenser l'entreprise autour de sa mission de création collective*;
- penser le statut du chef d'entreprise non plus en terme de mandat, mais en terme d'habilitation à conduire le projet d'entreprise;
- rendre le périmètre de l'entreprise avec la réalité d'une certaine subordination**;
- renforcer la solidarité entre les parties prenantes selon la règle des avaries communes***.
Faut-il attendre que les entreprises se saisissent de ces principes un peu comme cela se passe pour la RSE? Ou faut-il développer un nouveau droit? La liberté statutaire n'empêche pas de produire un modèle légal qui pourrait prendre ses principes comme le contrat d'entreprise à progrès collectif.

La refondation de l'entreprise est en débat. La démarche proposée par Blanche Segrestin et Armand Hatchuel est intéressante: donner une existence légale à l'entreprise pour instituer une gouvernance de l'innovation sous la conduite responsable du collectif de travail confiée à un chef d'entreprise nommé par les parties prenantes qui acceptent une subordination solidaire.





---
* Blanche Segrestin: "Le capital n'a pas de valeur en soi, c'est l'usage qu'on en fait qui a de la valeur."
** Interprétation personnelle: Cette nomination est prononcée par les parties prenantes qui accepte la subordination qu'entraîne l'acceptation de cette autorité qui risque d'abîmer son potentiel d'évolution de carrière pour les salariés, ses débouchées pour les fournisseurs, ses besoins pour les clients comme son capital pour les actionnaires.
*** Le capitaine peut jeter par dessus bord une partie de la cargaison pour sauver le navire sans avoir à indemniser le propriétaire de la marchandise. Les effets d'un choix de gestion pris au nom d'un projet collectif - qu'ils soient positifs (plus-values) ou négatifs (licenciements) doivent être communs et partagés entre les parties prenantes.